L'Atelier

Le caoutchoucun matériau incontournable !

Publié le 16 février 2020 - Michel Garneau

Lorsque nous pensons aux matériaux utilisés dans la fabrication de nos motoneiges modernes, nous pensons presque tous aux divers métaux (et alliages), tels l’aluminium, l’acier et dans certains cas, le magnésium. Les plastiques font aussi partie de la réflexion, par exemple dans le cas des composants d’habillage comme la cabine, les panneaux latéraux et le pare-brise. Par contre, un matériau qui ne nous vient peut-être pas tout de suite à l’idée mais sans lequel nos motoneiges n’existeraient pas, est le caoutchouc. Pensons aux chenilles, aux courroies, aux nombreux joints toriques (« o-ring »), aux poignées de guidon, pour ne nommer que quelques-uns des composants dont la fabrication fait appel à ce matériau, et il devient vite évident que le caoutchouc joue un rôle crucial dans la conception et la fabrication de nos véhicules. Alors, qu’est-ce que le caoutchouc et pourquoi est-il si important pour notre industrie?

Qu’est-ce que le caoutchouc?

Nous l’avons tous constaté : le caoutchouc est un matériau qui supporte de très grandes déformations avant rupture. Techniquement, il appartient à la famille des élastomères, c’est-à-dire des polymères (formés de plusieurs macromolécules ou de molécules constituées de la répétition de nombreuses sous-unités) qui peuvent subir une déformation élastique. Autrement dit, ils peuvent se déformer lorsqu‘une force est appliquée, mais revenir à leur forme et à leur taille initiale lorsque la force est retirée, un phénomène que l’on appelle également une déformation réversible. Le caoutchouc peut être obtenu par la transformation du latex secrété par certains végétaux ou encore, par la transformation d’hydrocarbures fossiles. On parle ainsi de caoutchouc naturel et de caoutchouc synthétique. Sans grande surprise, on note que la variété synthétisée à partir de molécules simples de provenance pétrolière est aujourd’hui la plus commune.   

L’hévéa ou, de par son latex, l’arbre à caoutchouc, est une des sources principales de caoutchouc naturel.

La vulcanisation : un point culminant

L’utilisation du caoutchouc a débuté en Amérique centrale et en Amérique du sud, la zone géographique où poussent l’hévéa et le guayule, les sources principales de l’ingrédient de base du caoutchouc naturel, c’est-à-dire le latex. Connu des explorateurs européens à la fin du XVe siècle, on a vu son utilisation commencer à se répandre enfin au milieu du XVIIIe siècle, quand des chimistes ont découvert des utilisations pour ce mystérieux produit. Bien que très prometteur, celui-ci est demeuré pénalisé par certaines caractéristiques, dont les tendances à devenir collant lorsqu’exposé au soleil, à fondre à température élevée, à devenir cassant à basse température, et enfin, à brunir et coaguler lorsque maintenu à l’air.

Toutefois, tout cela a changé en 1842 lorsqu’un Américain du nom de Charles Goodyear a découvert la vulcanisation, un procédé chimique permettant de transformer le caoutchouc afin qu’il résiste mieux aux écarts de température. Ce procédé, une sorte de curage, consiste à incorporer du soufre, ou tout autre agent vulcanisant, dans un élastomère brut (soit le caoutchouc). On fait ensuite cuire le mélange, ce qui permet d'apporter l'énergie requise pour la formation des liaisons chimiques, des réseaux tridimensionnels entre les molécules. Le résultat est un polymère réticulé, moins plastique, plus élastique, quasi insoluble et infusible. 

À droite: Le soufre, le cinquième plus commun des éléments sur Terre, est l’agent de vulcanisation de prédilection utilisé dans la transformation du caoutchouc. 

Le caoutchouc synthétique

La recherche sur le caoutchouc se poursuit et en 1907, un chimiste Allemand, Fritz Hofmann, a fabriqué les premiers caoutchoucs synthétiques, créant ainsi une alternative au caoutchouc naturel. Ceci permet non seulement de satisfaire une demande industrielle qui croît rapidement, mais de plus, ouvre la porte au développement de nouveaux élastomères aux propriétés désirables, par exemple une meilleure tenue à la chaleur. Si le caoutchouc naturel continue d’être utilisé dans notre monde moderne, son volume de production a été supplanté par la production du caoutchouc synthétique à partir de 1980.

À gauche : Camso, le plus grand fabricant de chenilles de motoneiges au monde, offre depuis maintenant quelques années des chenilles avec crampons encastrés à même les talons, ce que rendent possible les techniques de production modernes. Ces chenilles, membres de la famille ICE (y compris la plus récente édition, la ICE Storm 150), offrent un meilleur rendement en conditions de sentier fermes et, plus important encore, sur la glace.   

Noir de carbone

La prolifération du caoutchouc dans le monde occidental s’est déroulée de façon quasi parallèle à l’arrivée de l’automobile. Comme nous le savons tous, les pneus des automobiles sont fabriqués en caoutchouc, et ce, depuis la naissance de l’industrie automobile au début du XXe siècle. L’usure rapide et la faible résistance du caoutchouc utilisé dans la production des premiers pneus posaient un problème à ces pionniers des « voitures sans chevaux », notamment dans des conditions de course. Cependant, voilà que quelqu’un a pensé ajouter du noir de carbone (soit une forme élémentaire et non cristallisée du carbone) au mélange de caoutchouc, améliorant de beaucoup la durabilité des pneus. Dans les faits, cet ajout augmente le module d’élasticité et la résistance au déchirement du caoutchouc. Plus concrètement, ceci a pour effet de diminuer le taux de développement des fissures et d’améliorer la résistance à la fatigue et à l’usure.    

À gauche : Voici le noir de carbone sous sa forme naturelle, soit en poudre fine. Inodore et produit de la combustion incomplète d'hydrocarbures, le noir de carbone est aujourd’hui indispensable et demeure le plus important matériau de remplissage pour les produits en caoutchouc. D’ailleurs, cela explique pourquoi de nombreux produits en caoutchouc, dont les chenilles et les courroies d’entraînement de nos motoneiges, sont noirs.

Bien que le noir de carbone demeure un incontournable dans de nombreux mélanges de caoutchouc, il n’est pas le seul matériau à servir à cette fin. Dans de nombreuses applications, par exemple lorsqu’un coloris noir n’est pas souhaitable, on fait appel à la silice précipitée ou la silice sublimée. D’ailleurs, il arrive parfois que l’on utilise les deux matières, notamment dans la fabrication des pneus (comme ces pneus de moto) où la présence de silice améliore l’adhérence, particulièrement lorsque la chaussée est humide.

La dureté

Le caoutchouc est utilisé dans une foule d’applications, chacune avec ses propres exigences, notamment en ce qui a trait à la dureté du matériau. Au fil du temps, les chimistes et ingénieurs ont réussi à varier les mélanges pour obtenir les caractéristiques requises, créant du coup la nécessité d’évaluer leur dureté.

Ainsi, des outils conçus à cette fin ont commencé à apparaître au XIXe siècle, mais c’est l’introduction du duromètre (et de l’échelle) Shore, développé par l’Américain Albert Ferdinand Shore en 1915, qui permit une certaine standardisation. Utilisé encore aujourd’hui, le duromètre Shore mesure la dureté superficielle d’un élastomère à l’aide d’un pénétrateur standard poussé par un ressort calibré à 0,816 kg (1,8 lb) de force. En évaluant le taux de pénétration, il est possible d’établir une mesure de la dureté de l’élastomère en question. Plus le chiffre sur l’échelle est élevé, plus la résistance à l’indentation est grande et donc plus dur est le matériau, et inversement.

Les deux échelles Shore les plus utilisées, soit A et D, sont conçues pour différents matériaux. L’échelle A est celle prévue pour évaluer les élastomères (dont le caoutchouc), alors que la version D sert plutôt pour les plastiques. Notez comment les pénétrateurs diffèrent pour les deux tests. Dans le jargon, lorsqu’on parle d’un caoutchouc à « duromètre 80 », par exemple, on veut dire un caoutchouc qui mesure 80 sur l’échelle Shore A. Pour mieux visualiser l’échelle, une gomme à effacer pour crayon a une mesure d’environ 30, alors qu’un matériau qui mesure 95 est souvent confondu avec un plastique.

À gauche: Un duromètre (Shore A) numérique portatif

À droite: Le caoutchouc utilisé dans la fabrication des joints toriques est généralement d’un duromètre de 70 puisque cette fermeté offre les propriétés idéales pour la grande majorité des applications.

Quant aux talons de chenille, ils ne sont pas toujours fabriqués de caoutchouc à dureté uniforme. Par exemple, il peut être souhaitable dans certains cas que la base du talon présente un duromètre plus ferme et le bout plus souple alors que l’inverse peut aussi être vrai.  Heureusement, les techniques de fabrication modernes permettent cette flexibilité. 

Alors qu’elles portaient encore le nom de HCR (comme cette M 8000 HCR 153 2015), ces bolides de compétition de montée de pente (hillcross) d’Arctic Cat étaient fournis équipés d’une chenille faite d’un caoutchouc plus ferme que celui des chenilles des autres modèles de la gamme de montagne M du fabricant. Plus précisément, la chenille Power Claw de la HCR était fabriquée avec un caoutchouc mesurant 85 sur l’échelle Shore A, plutôt que le caoutchouc mesurant 80 des autres versions de la Power Claw, ce qui lui permettait de mieux performer sur la neige dure et glacée que l’on retrouve souvent sur les circuits de compétition de montée de pente (hillcross).  

Caoutchouc renforcé

Alors que certains composants et pièces de nos motoneiges sont fabriqués principalement de caoutchouc (tels les nombreux joints toriques et les poignées de guidon), d’autres font appel à un caoutchouc de composite, soit un matériau fait de deux ou plusieurs matériaux constitutifs qui demeurent séparés et distincts à l’échelle macroscopique tout en formant un seul composant. Les matériaux constitutifs d’un composite sont classés en deux catégories : renforcement et matrice. Le renforcement est une fibre robuste (comme la fibre de verre, le Kevlar ou la fibre de carbone) qui donne au matériau sa résistance à la traction. Quant à la matrice, elle agit à la fois comme un adhésif liant les fibres et comme protecteur protégeant les fibres de l’environnement et permettant au matériau composite de résister à la dégradation. À titre d’exemple, les matériaux composites les plus primitifs comprenaient la paille et la boue utilisées dans la fabrication de briques pour la construction de bâtiments.

Les durites de radiateur et les autres conduits essentiels de nos véhicules sont aussi dotés de cordes à l’intérieur qui les renforcent et les rendent plus résistants à la pression. 

Le fabricant Arctic Cat a changé les poignées de ses modèles de motoneiges 2017, passant d’une version principalement à base de plastique à une nouvelle fabriquée en caoutchouc pour une adhérence et une souplesse accrues.

Dans le cas de nos motoneiges modernes, le caoutchouc agit comme matrice dans la fabrication des chenilles et des courroies d’entraînement, le caoutchouc à lui seul ne possédant pas la résistance à la traction pour être un matériau unique. C’est pourquoi les ingénieurs font appel à divers matériaux, dont du tissu en polyester, de la corde et des travers en fibre de verre dans le cas d’une chenille, de même que des cordes et fibres aramides, Kevlar, PBO ou encore de carbone dans le cas d’une courroie d’entraînement. L’introduction de ces renforcements permet à ces composants critiques de survivre aux milieux extrêmes dans lesquels ils doivent performer. Ainsi, on parle des produits finaux issus d’un tel mariage comme des produits fabriqués en caoutchouc renforcé.

Saviez-vous que…

Environ 25 millions de tonnes de caoutchouc sont produites annuellement. Seulement 30 % de cette production est naturelle, le reste provenant de sources pétrochimiques.

Le caoutchouc naturel offre une excellente élasticité alors que celui produit de sources synthétiques a tendance à être plus résistant aux facteurs environnementaux tels l’huile, la température, les produits chimiques et les rayons ultraviolets. 

À la fin des années 1950, Joseph Armand Bombardier a conçu et breveté la première chenille de caoutchouc sans fin. Celle-ci était renforcée avec des cordons en coton et des travers en acier à chaque pas.

Le caoutchouc est difficilement recyclable, aucune technologie n'ayant encore été trouvée pour permettre de le réutiliser en préservant toutes ses qualités. Cependant, il peut servir à fabriquer d’autres produits, tel du bitume modifié plus flexible à froid et plus solide à chaud que le bitume de base.

Chez Ski-Doo, dans sa technologie de chenille silencieuse appelée SilenTrack introduite sur certains modèles GTX en 2009, les ingénieurs ont ajouté une bande de caoutchouc plus mou (duromètre 60 contrairement au duromètre 80 habituellement utilisé) à l’intérieur de la chenille, là où circulent les roues. Cet ajout contribue à réduire les vibrations et le bruit causés par l’impact entre les renforts et les roues, avec une diminution de trois décibels des niveaux sonores.

 

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