Ceux parmi nous qui avons atteint une certaine « expérience » ou « sagesse » (*ahem*) peuvent témoigner de l’évolution qui s’est opérée dans nos motoneiges au fil des années. Bien sûr, nous avons tous vu changer et évoluer les châssis, les suspensions et les équipements de série. Par contre, l’élément qui a possiblement le plus évolué, toutefois, est la motorisation. Dans ce que l’on appelle encore « le bon vieux temps », nos motoneiges étaient propulsées uniquement par des moteurs à deux temps refroidis soit à l’air ou par ventilateur, alors qu’aujourd’hui, la vaste majorité des nouvelles motoneiges sont munies d’un moteur à refroidissement par liquide.
Mais pourquoi donc cette évolution? Voilà justement la question à laquelle nous allons répondre dans cette édition de la chronique L’Atelier.
Alors, sans plus tarder…
La chaleur au coeur de tout
Tous les moteurs à explosion, peu importe leur application ou utilisation, sont conçus pour une seule et unique raison, soit de travailler. Dans les faits, les moteurs à explosion transforment l’énergie chimique du carburant en énergie cinétique qui nous est plus utile. De façon simpliste, la hausse du volume des gaz produite par la combustion du mélange air-essence génère une hausse de pression (notamment puisque le cylindre est essentiellement un vaisseau scellé), celle-ci agissant directement sur la surface du dessus du piston, entraînant son déplacement et, ultimement, celui du vilebrequin. Toutefois, comme nous le savons tous, l'énergie produite lors du fonctionnement d'un moteur ne se limite pas à la variation cinétique, les moulins produisant aussi une quantité considérable d'énergie thermique (soit de la chaleur).
En effet, si ce produit de son fonctionnement apporte certains inconvénients, la réalité est que la chaleur est essentielle à son fonctionnement et que sans celle-ci, le moteur à explosion serait simplement une pompe à air, incapable de fonctionner sans apport d’énergie d’appoint.
Si le moteur à essence est dominant comme mode de propulsion de véhicules dans notre monde moderne, la réalité est qu’il donne un rendement relativement faible sur le plan de l'efficacité, réussissant à transformer seulement environ 25 % à 30 % de son énergie en énergie cinétique. La majorité de l’énergie produite est émise sous forme de chaleur.
Mais pourquoi nos moteurs sont si peu efficaces? Posons la question autrement : pourquoi génèrent-ils de si grandes pertes sous forme de chaleur? Voilà un problème qui préoccupe pratiquement tous les concepteurs et fabricants de moteurs à explosion, et pas seulement les manufacturiers de motoneiges. La réalité est que les raisons sont nombreuses. Par exemple, le dessus du piston n'est pas la seule surface à être exposée à la chaleur durant la combustion des gaz, les nombreuses autres surfaces (culasse, paroi de cylindre, soupapes...) emmagasinant la chaleur. Pensons aussi au fait que la combustion des gaz ne se fait pas uniquement à l'intérieur du moteur, celle ayant lieu à l'extérieur du cylindre (dans la lumière d'échappement, par exemple) étant essentiellement de l'énergie gaspillée (du moins sur le plan cinétique, soit celui qui nous est prioritaire). Alors, bien que les ingénieurs aient réussi à améliorer de façon considérable l'efficacité des moteurs, la réalité demeure qu'une proportion importante de l'énergie d'un moteur s'échappe sous forme de chaleur.
Photo : diesel, vignette : Les moteurs diesel ont un meilleur rendement que les moteurs à essence, atteignant jusqu'à 35 % d'efficacité. Les moteurs à explosion les plus efficaces qui soient, précisément les énormes moteurs diesel à deux temps utilisés dans les navires transocéaniques (voir photo), réussissent à atteindre une efficacité de plus de 50 %.
L'air, refroidisseur naturel et abondant
Très tôt dans l'évolution des moteurs à explosion, on a constaté qu'un excès de chaleur pouvait être nuisible, voire destructif, à la fiabilité et la survie du moteur. Il est rapidement devenu évident qu'un moyen d'évacuer cette chaleur excessive devait être trouvé, permettant de maintenir la température du moteur suffisamment basse pour assurer sa survie. Sans grande surprise, le premier agent de refroidissement fut l'air. Étant un système de refroidissement que l'on pourrait décrire comme passif, il est simple à exécuter et dépend d'un agent de refroidissement qui est abondant, voire omniprésent.
Les premières éditions du refroidissement à l'air, qui reposaient sur l'ajout d'ailettes aux diverses surfaces du moteur pour améliorer la diffusion de la chaleur, n'avaient pas besoin de sous-système de soutien (par exemple une pompe ou un ventilateur), réduisant le nombre de pièces requises et, par le fait même, ne nécessitant aucun entretien.
La Spitfire de John Deere, lancée en 1978, a été l’une des dernières nouvelles motoneiges propulsées par un moteur refroidi à l'air. La décision de la munir d'un moteur « free air » Kohler de 340 cc a été guidée par le désir de la rendre la plus légère possible (facteur qui a aussi incité les ingénieurs à la doter d’un système d'entraînement direct, soit sans carter à chaîne). Le produit final fut une motoneige qui ne pesait que 130 kg (285 lb), c’est-à-dire moins qu'une Élan monocylindre de l'époque.
Trop c’est trop!
Le refroidissement à l'air est venu combler les besoins tant et aussi longtemps que la calibration des moteurs demeura modeste. Au fil du temps, les attentes sur le plan de la performance incitèrent les ingénieurs à hausser la puissance en passant par une majoration des taux de compression et une croissance de la vitesse des moteurs, deux facteurs qui augmentaient de façon significative la chaleur produite, à tel point que des problèmes sont apparus. Un des endroits les plus problématiques fut sans grande surprise les nombreuses surfaces de la culasse qui forment la chambre de combustion. Situées dans le cœur de l'action (soit exposées aux flammes de combustion), elles subissaient la chaleur produite et emmagasinée dans cette région, ce qui créa des points suffisamment chauds pour engendrer des problèmes de détonation ou de préallumage, deux situations destructives pour un moteur.
Il est important de se rappeler que les moteurs modernes brûlent leur carburant à des températures qui excèdent le point de fusion de nombreux matériaux utilisés dans leur fabrication. Par exemple, les pistons dans nos moteurs modernes sont fabriqués en alliages d’aluminium. L'aluminium (pur) fond à 660 °C (1 218 °F), alors que la température de la flamme à l'intérieur du moteur (dans la chambre de combustion) au moment de la combustion peut s'élever jusqu'à 1 500 °C! Ça ne prend pas la tête à Papineau pour voir comment les choses peuvent se gâcher!
Le système de refroidissement à l'air continue d’être utilisé sur des moteurs dans d'autres applications, par exemple dans certaines motos. Toutefois, les exigences propres aux moteurs de motoneige ont rapidement fini par exposer ses limites. Plus particulièrement, un moteur de motoneige est assujetti à un niveau très élevé de résistance, faisant en sorte qu'il doit travailler beaucoup plus fort que dans le cas d'autres applications. De plus, le moteur est généralement isolé sous le capot (notamment pour réduire les émanations sonores), limitant de beaucoup son exposition à l'air qui servirait à le refroidir. On peut aussi parler du défi que présente l'utilisation de la motoneige à basse vitesse, alors que le flux d'air est minimal.
On pourrait qualifier d'extrême la charge à laquelle un moteur de motoneige est assujetti. Dans les faits, seulement environ 50 % de la puissance produite par un moteur de motoneige est effectivement consacré à propulser le véhicule, le reste servant à surmonter la résistance dans le système d'entraînement et l'inertie des nombreuses pièces mobiles (dont la chenille). Disons qu'il ne s'agit pas d'un mandat facile pour un moteur!
L'air +
Pour remédier à ces nombreux défis, les ingénieurs ont choisi d'apporter une modification au système de refroidissement à l'air, soit l'ajout d'un ventilateur, ce dernier créant un flux d'air constant qui contribua à optimiser le refroidissement du moteur, notamment dans des conditions de basse vitesse ou lorsque le moteur est appelé à tourner au ralenti pour des périodes prolongées. Ce design préserva les ailettes sur les cylindres du système de refroidissement à l'air et on entoura ceux-ci d’un capot de manière à forcer l'air frais à circuler autour. Un système efficace et qui demeure en utilisation encore aujourd'hui (dans un nombre toujours décroissant de modèles, toutefois), l'ajout du ventilateur apporte un niveau de complexité à l'ensemble, de même que des pertes parasitiques au moteur.
Un autre point à considérer est que le refroidissement par ventilateur, malgré sa gestion thermique supérieure, doit tout de même faire appel à un mélange air-essence riche pour soutenir le refroidissement. Pourquoi donc? Dans un premier temps, l'essence (additionnelle), en entrant en contact avec le piston et les parois du cylindre et de la chambre de combustion, contribue à les refroidir. D'autre part, le mélange plus riche en essence brule généralement moins chaud, diminuant la source même du problème. Par contre, cette technique a deux effets secondaires importants, notamment la hausse de la consommation d'essence et une augmentation des émanations de gaz polluants, créant ainsi un conflit avec les nouvelles normes environnementales plus sévères.
Au-delà des systèmes de refroidissement en tant que tels, les ingénieurs ont adopté d'autres méthodes et technologies pour améliorer la gestion thermique des moteurs. Par exemple, on a peaufiné le choix de matériaux de fabrication, la fonte et l'acier, ces matériaux originaux ayant cédé leur place à l'aluminium, un métal nettement plus efficace pour dissiper la chaleur.
Photo: Polaris 550, vignette: Le moteur Fuji de 544 cc refroidi par ventilateur que l'on retrouve dans les 550 Indy chez Polaris utilise des cylindres en aluminium avec revêtement au nikasil, plutôt que des cylindres en acier, afin d’assurer une évacuation plus rapide et efficace de la chaleur.
Les moteurs à quatre temps présentent des défis particuliers. Conscients que la propension à emmagasiner la chaleur est une fonction de l'aire exposée à la chaleur, les ingénieurs ont travaillé pour réduire celle-ci. Parmi les démarches entreprises, les chambres de combustion sont plus compactes que par le passé (les nouveaux designs haussant l'efficacité également). On a aussi réduit la longueur (et la taille dans certains cas) du conduit d'échappement à l'intérieur de la culasse. De plus, on a ajouté des refroidisseurs à l'huile, ce liquide essentiel s'avérant très utile dans le combat contre la chaleur. Enfin, dans le but de mieux refroidir les pistons, certains moteurs haute performance (notamment les moteurs turbocompressés) sont munis de gicleurs qui arrosent les dessous de pistons, aidant ainsi à réduire la température de la couronne du piston, soit la portion la plus chaude.
Le salut par le liquide
Ayant atteint les limites des capacités des deux variations du refroidissement à l'air, les ingénieurs se sont tournés vers la technologie du refroidissement par liquide. Mais pourquoi?
La réponse est simple : la conductivité thermique (soit la capacité d'une substance à absorber la chaleur) d'un mélange 50/50 d'eau et d'éthylène glycolique est 17 fois plus efficace que l'air! Voilà que la migration des moteurs vers un système de refroidissement par liquide permit de poursuivre la montée de puissance tant recherchée par les ingénieurs et les consommateurs. La meilleure gestion de la chaleur dans l'ensemble du moteur permit aussi de dessiner des moteurs aux tolérances nettement plus serrées, réduisant les pertes polluantes (par exemple, les gaz qui s'échappent au niveau des segments de piston dans l'atmosphère), améliorant l'efficacité et réduisant le bruit.
Enfin, cette technologie rendit possible de concevoir et de produire des moteurs qui étaient aussi plus fiables et durables tout en offrant un rendement plus constant.
Certains moteurs à deux temps de grande cylindrée (à injection directe ou semi-directe), comme le 850 E-TEC par Rotax, font appel à un carter refroidi par liquide. Pourquoi? Alors que par le passé (dans les moteurs à deux temps « conventionnels »), l’essence qui passait par cette zone aidait à la refroidir, les nouvelles technologies d’admission acceptent uniquement de l’air (l’essence étant injecté plus tard dans le processus d’admission), ce qui diminue de beaucoup l’effet de refroidissement. On doit donc compenser par l’ajout de circuits de refroidissement par liquide.
Du côté composants, un système de refroidissement par liquide consiste en une série de passages, à travers le moteur, d'un liquide de refroidissement, d'une pompe et d'un échangeur thermique. Quant au fonctionnement, le liquide, propulsé par la pompe (généralement mécanique bien que l’utilisation d’une pompe électrique est aussi possible), circule en boucle fermée et de façon continue dans les conduits du moteur, absorbant la chaleur au passage. On comprendra que ce transfert de chaleur depuis le moteur vers le liquide a pour effet de réduire la température du premier. Après avoir quitté le moteur, le fluide se rend vers l'échangeur thermique où la chaleur qu'il emmagasine est relâchée.
Dans le cas d’une motoneige moderne, l’échangeur thermique est placé dans le tunnel du véhicule, où son contact continu avec la neige projetée par la chenille permet de réduire la température du liquide avant qu’il ne reparte en direction du moteur.
Alors que l’échangeur thermique monté à même le tunnel est de rigueur sur toutes les motoneiges refroidies par liquide, certains modèles, dont les SRViper de Yamaha (voir photo), font également appel à un radiateur pour aider au refroidissement, notamment en conditions de basse vitesse.
Pour peaufiner la gestion de la chaleur du moteur, on insert généralement une soupape thermostatique (aussi connu sous le nom thermostat) qui nous permet de gérer le flux du liquide en fonction de sa température, chose qui a pour effet de régir le taux d'évacuation de chaleur du liquide de refroidissement (vers la neige ou l’air). Ainsi, on peut maintenir la température du moteur la plus constante possible.
Concernant son fonctionnement, ladite soupape est calibrée pour ouvrir à une certaine température, permettant ainsi au liquide de circuler et réduisant donc la température jusqu'à ce qu'elle revienne à la température d'activation de la soupape. Un équilibre s'établit et la température demeure soit au point ou très près de celle d'activation de la soupape. Tous les moteurs de motoneige refroidis par liquide utilisent un thermostat, mais la température d’ouverture de ces dispositifs utilisés dans les moteurs à deux temps et quatre temps diffèrent, la motorisation à deux temps ayant des températures d’ouverture (et donc d’équilibre du système) nettement inférieures à celles des moteurs à quatre temps.
Sur son moteur 850 Patriot (lancé l’an dernier), le fabricant Polaris a intégré un thermostat qui maintient la température d’opération du moteur à seulement 30 °C (100 °F), une mise à niveau censée fournir davantage de protection contre la surchauffe en conditions difficiles et plus d’uniformité en conditions stables.
Autre point intéressant à noter est l’utilisation d’un dispositif (soit une soupape calibrée intégrée au bouchon du système) pour hausser la pression dans le système et ainsi augmenter la température d'ébullition du liquide de refroidissement. Mais pourquoi procéder de cette façon? La raison est simple : une fois que le liquide commence à bouillir, la vapeur agit comme un isolant, éliminant la capacité du système à évacuer la chaleur. En haussant la température d'ébullition, on peut augmenter la marge de protection contre la surchauffe du moteur.
L’avenir
Comme nous l’avons mentionné à maintes reprises, les normes de gaz d'échappement toujours plus rigoureuses forceront l’utilisation de mélanges de plus en plus pauvres, haussant les températures de combustion et, conséquemment, les besoins de refroidissement des moteurs. Il va de soi que l’utilisation des mélanges air-essence riches pour refroidir les moteurs deviendra chose du passé, entraînant la disparition des quelques moteurs refroidis à l’air que l’on retrouve encore sur le marché.
Les systèmes de refroidissement par liquide sont donc avec nous pour rester, du moins jusqu’à la disparition des moteurs à essence.
L'introduction de nouveaux logiciels spécialisés ont permis aux ingénieurs de revoir notamment la conception et l'exécution des systèmes de refroidissement des moteurs. Aujourd'hui, il est possible de dessiner un moteur et de simuler son fonctionnement sur ordinateur sans en fabriquer même un seul composant! C’est grâce à cette technologie, entre autres, que les nouveaux moulins font appel à des enveloppes de liquide plus minces et une vitesse de circulation accrue pour le liquide de refroidissement (comparativement aux anciens moteurs), ces paramètres permettant une meilleure absorption et évacuation de la chaleur. Vive le progrès!